Revue Incise 5 : Ce qui s’institue. Entretien avec Stéphanie Béghain
Diane Scott – Depuis la création du ministère de la Culture il y a un grand partage dans l’organisation du théâtre, qui sépare le travail du spectacle proprement dit, les artistes au plateau, de ce qui relève de l’animation socio-culturelle comme on l’appelait dans les années 1970. La pratique purement artistique correspond à ce que le monde de la culture valorise, tandis que l’animation d’ateliers avec des amateurs est souvent pensée, et parfois vécue, comme dévolue à ceux qui accéderaient moins souvent au « plateau ». Cela relèverait de la part non noble des tâches culturelles. Il est manifeste que, pour ta part, tu es à un point paradoxal de cette échelle de valeurs. Tu ferais plutôt partie des comédiens qui travaillent beaucoup. Pourrais-tu nous dire quand et comment tu en es venue à faire des ateliers de pratique théâtrale ?
Stéphanie Béghain – J’ai un parcours d’actrice qui est de fait assez institutionnel. J’ai commencé jeune, j’ai fait une école et travaillé ensuite comme interprète au théâtre, en compagnies, dans des institutions et registres plutôt conventionnels ; mais il y a eu quelques ruptures liées à des questions d’articulation de sens et de pratique dans les spectacles. Dans certaines institutions, des tentatives ont été faites pour trouver de l’espace, de l’écart par rapport au régime de production de spectacles. J’ai souvent sauté sur l’occasion, ça m’a toujours intéressée. J’ai fait peu d’ateliers de pratique de théâtre à proprement parler, par contre j’ai travaillé sur la lecture à haute voix dans des ateliers mêlant parfois la lecture et l’écriture, avant tout par intérêt personnel pour l’écrit, pour les textes. Dans les lieux culturels ces pratiques sont effectivement assez marginalisées, elles servent souvent à remplir les cahiers des charges à la case « action culturelle » et à capturer des « nouveaux publics », rarement à instituer des espaces de rencontre, tout simplement. C’est intéressant de voir comment ces pratiques s’inscrivent dans chaque endroit et quel type de résonance, d’accueil, il leur est fait. Dans un théâtre, tu peux trouver cet atelier au fin fond d’une salle de répétition sans que personne ne sache vraiment qu’il existe et ce qui s’y passe, s’il n’est pas même parfois traité avec un relatif mépris. En tout cas on fait souvent une distinction avec le travail de plateau tel qu’il se définit dans ces « maisons ». C’est une question qui est née d’un clivage historique[1]. Ces ateliers font lieu parce qu’ils n’ont souvent pas de lieu, c’est quelque chose qu’il faut sans cesse réinventer sans quoi les institutions manquent sérieusement d’air. Cela ne se fait pas dans n’importe quelles conditions et à n’importe quel prix, nous y reviendrons. Il y a des gens qui pour de multiples raisons ne poussent jamais la porte d’un théâtre, ce que dans nombre de lieux culturels on appelle le « public éloigné » ou « public empêché » – catégories inventées dans une curieuse idée des relations avec le public – mais pour accueillir ces personnes, il faut ouvrir des espaces sérieux de travail, de lecture, de théâtre. La lecture à haute voix, à mon sens, c’est un travail de théâtre : où que tu sois, dans une salle de classe, dans un hôpital, dans une bibliothèque, etc., ce qui fait lieu, c’est l’espace tel qu’il se présente, dans sa pauvreté, on donne une représentation, on donne à voir le lieu lui-même, l’institution elle-même, où elle en est avec les gens qui sont là. Faire atelier ce n’est pas seulement faire la vitrine culturelle d’un lieu, c’est créer pour un temps un espace avec les gens qui y travaillent et les gens qui sont accueillis, ensemble. En tout cas j’ai souvent défendu l’idée que ceux qui viennent aux ateliers et ceux qui aident à les constituer participent conjointement aux lectures, aux moments de présentation. Ça compte beaucoup pour atténuer ce qu’impose de devoir tenir un statut : « amateur », « intervenant », « relation publique », ou à l’hôpital « patient », « soignant », etc. Tout le monde participe à égalité. Il faut que l’on puisse travailler à une sorte d’émancipation, non ?
Pour nous aider à situer ce travail, pourrais-tu nommer quelques expériences d’ateliers que tu as faites ? Et nous dire aujourd’hui ce que tu fais dans ce cadre-là ?
J’ai commencé par un atelier dans un lycée en banlieue parisienne, c’était à Argenteuil, avec le Conservatoire de Paris. Le projet était piloté par la Comédie-Française, c’était un peu « la Comédie-Française se la joue en banlieue »… Avec une copine, on a dû remplacer une actrice de la Comédie-Française qui au bout de quatre ou cinq séances… n’y allait plus du tout ! On a rattrapé le coup en écrivant une petite pièce avec les adolescents. Un genre de projet complètement hors sol comme il s’en fabrique des centaines… Disons que cela m’a plutôt vaccinée.
Après, j’ai travaillé comme actrice au théâtre de la Colline où il existait un certain nombre d’« actions en direction du public », un comité de spectateurs, des ateliers d’option A3 en lycée, etc. On a fait un atelier d’écriture avec les femmes d’une association de réinsertion sociale du xxe arrondissement ; on écrivait ensemble, on était les scribes les unes des autres. Une équipe, plutôt des copains, jouait à ce moment au théâtre un spectacle où il n’y avait que des filles, on avait préparé un temps d’échange où les actrices lisaient leurs textes aux participantes et à leurs familles – car les femmes ne voulaient pas lire sur scène. Cet atelier avait eu un peu de temps pour se constituer – le temps accordé à tout ça compte beaucoup ; si c’est un saupoudrage de quatre heures ou même huit heures, ça n’a pas tellement de sens. On avait fabriqué un petit livret, chaque personne est repartie avec un petit livret des textes.
Puis à la faculté de Paris 3 oui, on a commencé par ça, la lecture à haute voix. Pendant les trois ou quatre premières séances on a lu et questionné des théories sur la diction des vers, Regnault, Bernardy et d’autres. On essayait des choses pour tenter de s’orienter dans ces écritures complexes. On lisait de la poésie, des discours d’hommes politiques – c’est possible d’ouvrir le sens par la lecture : on entend tout ! À la fin, aux dernières séances, l’atelier était ouvert, je demandais seulement aux gens de préparer un quart d’heure de lecture d’un texte qu’ils avaient choisi et on commentait, critiquait ces lectures. Avec ceux qui prenaient un peu au sérieux cette assemblée, on entendait et voyait des choses très intéressantes.
En ce moment, on fait des ateliers avec le Théâtre de Gennevilliers mais c’est tout récent. Il y a un comité de lecteurs ouvert : des retraités, des étudiants, des bibliothécaires de la ville, des chômeurs le fréquentent. Et puis, quelque chose émane d’une volonté d’ouverture du théâtre dans la ville qui se traduit par des tentatives fragiles, avec des jeunes dans l’internat d’un collège, avec une association de femmes, avec un atelier socio-linguistique – des gens qui apprennent le français et commencent à savoir l’écrire et le lire. On essaie de travailler ensemble une pièce ou un texte, et peut-être à un moment de faire une lecture publique. Il faut être très précautionneux, très patient, on ne peut rien précipiter du temps de rencontre. Cela me pose question en ce moment : il y a pas mal d’équipes de théâtre qui fabriquent des projets avec des « habitants », sauf que le problème est : quel est le temps accordé à la rencontre et au travail commun ? Pour un spectacle ou une « performance », les gens rappliquent et disent « on a besoin de tant de personnes que le théâtre doit trouver, des amateurs, des habitants, etc. », mais ça pourrait être ceux-là ou ceux-là, c’est pareil, tout le monde est interchangeable ! Mais qu’est-ce que ça veut dire ? C’est une vision assez malhonnête du public, de l’habitant, et si le travail d’aller à la rencontre des gens n’est pas fait, avec le minimum de souci de ce qu’ils sont, d’où ils vivent, des lieux qu’ils fréquentent, ce n’est pas très sérieux.
Par ailleurs, pendant ces années, j’ai aussi travaillé dans des lieux de soin, en psychiatrie. Depuis peu, je fais un atelier de lecture dans un CATTP[2], à Paris. Nous n’avons pas pour but, à cette heure, de lire en public. Au fil de l’atelier, en se passant simplement un livre de main en main, on écoute ce qui se dépose de l’écriture et les petites choses qui peuvent surgir au fur et à mesure : des commentaires sur le style, des souvenirs qui repassent, des questions d’histoire, de géographie… c’est un travail de précision en fait. Dans ce lieu, ça se fait dans l’esprit d’un « groupe thérapeutique », avec des gens plutôt très ouverts.
Et puis, il y a l’hôpital de jour de Bondy, où je travaille encore aujourd’hui. Cela fait quatorze ans. Toutes les semaines, le vendredi après-midi. En 2004, j’avais été invitée à y faire une lecture, et puisqu’un atelier de lecture existait déjà dans le lieu, on s’était proposés de préparer la lecture ensemble pendant plusieurs semaines. Notre petite équipée avait fabriqué une exposition et une lecture publique qui réunissait patients, soignants, secrétaire, psychiatre ; c’était déjà les prémices de ce qu’on a porté ensuite.
L’atelier là-bas était déjà structuré de manière ouverte, à la fois pour les soignants et pour les patients ?
Il était ouvert effectivement, animé par Anne, une intervenante – y participaient également une infirmière, Anne-Céline et deux éducatrices, Élisabeth et Cécilia. Il est toujours ouvert à qui veut. Il y a un petit noyau de lecteurs qui viennent presque à chaque fois et ceux qui ne font que passer peuvent prendre place s’ils le souhaitent ; prendre place cela peut aussi vouloir dire rester à l’écart, suivre ça de loin, et petit à petit s’il y a des rapprochements tant mieux, mais rien n’est forcé. Jusqu’à la lecture publique, quelqu’un peut se désister et c’est à nous de rendre cela possible.
On a organisé beaucoup de lectures qu’on a parfois reprises à l’extérieur, c’est une manière de sortir de l’hôpital. Depuis deux ans, Leïla nous a rejoints ; elle travaille à la clinique de La Borde où elle est monitrice et mène des ateliers de théâtre.
Je ne suis pas entrée en psychiatrie complètement par hasard. J’avais participé à des lectures mises sur pied par l’une des psychiatres qui a créé cet hôpital de jour, quelqu’un d’important pour moi, Lise Maurer. Elle a fait un travail remarquable sur les écrits et dessins de personnes dont les œuvres sont apparentées à l’art brut. Ensemble, nous avons lu des textes d’Émile Josome Hodinos, de Jeanne Tripier, écrivains retenus trop longtemps dans les plis de l’art asilaire, découverts notamment par Dubuffet.
Et puis, j’ai participé à la Coordination des intermittents et précaires à partir de 2003 ; quelques personnes fréquentaient le séminaire de Jean Oury à Sainte-Anne[3]. On s’y est trouvés ensemble au moment d’un séminaire sur « le collectif » et pour écouter les récits d’Oury sur son expérience au sein de ce qui est appelé la Psychothérapie institutionnelle. C’est un type de travail en psychiatrie, mené aujourd’hui notamment à la clinique de La Borde et dans une poignée d’autres lieux, qui, pour le dire très rapidement, est ancré dans l’histoire du désaliénisme pendant et après la Seconde Guerre mondiale, et spécifiquement à ce qui s’est passé à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban en Lozère.
Historiquement c’est très important, à Saint-Alban, certains ont fait tomber les murs de l’asile et repensé les outils de la psychiatrie, ont accueilli à l’hôpital des malades de toute la France, des résistants, des réfugiés politiques et des poètes. Personne n’y est mort de faim pendant la guerre contrairement à ce qui s’est passé dans le reste de la France. Là se sont rencontrés quelques-uns des psychiatres – François Tosquelles, Lucien Bonnafé, Jean Oury – qui ont fondé certains courants du désaliénisme, comme celui de la Psychothérapie institutionnelle et celui de la politique de secteur.
L’hôpital de jour de Bondy est issu de cette histoire, il dépend du 14e secteur de l’Établissement public de santé de Ville-Évrard. Il a hérité d’une conception du soin et de la folie provenant directement des luttes pour la mise en place du secteur, initiées, notamment par Lucien Bonnafé, dès les années soixante. Le projet visait la fermeture des asiles au profit de plus petites unités de soin reposant sur une ouverture vers la ville, une continuité de soins, une dimension humaine et moins cloisonnée des relations soignants/soignés, une présence au long cours d’artisans et d’artistes. En 1971, un groupe de jeunes psychiatres a pu arracher le principe de la sectorisation pour l’immense asile de l’est de la région parisienne, Ville-Évrard. L’hôpital de jour a été créé en 1979 ; d’abord installé dans un ancien presbytère, il a déménagé dans des locaux dont la rénovation a été pensée en concertation avec l’équipe.
C’est un pavillon niché entre le canal de l’Ourcq et deux bretelles d’autoroute. De la rue, rien n’indique que c’est un hôpital. On entre par un jardin planté de bonnes herbes ; au rez-de-chaussée se trouvent une salle commune avec de grandes baies vitrées, une cuisine ouverte et un local qui a servi autrefois d’atelier de gravure et qui est maintenant un stockage de livres ; au premier étage, on trouve l’administration et le bureau des médecins ; au dernier étage, une pièce sous les combles est le lieu de réunion de l’équipe et la bibliothèque. L’hôpital de jour accueille une trentaine de patients adultes de tous âges qui vivent en Seine-Saint-Denis, à Bondy et dans les communes avoisinantes. Leur présence dans les lieux fait généralement suite à un ou plusieurs séjours en intra-hospitalier, à un parcours de soins. Les patients sont accueillis pour des durées variables, à une fréquence qui est discutée librement avec l’équipe soignante. Ici, soigner consiste à prendre en considération avec le plus grand sérieux la fragilité psychique et les histoires tant elles embrassent de questions liées à la famille, à la précarité, à l’immigration et à la culture. À l’hôpital de jour on ne prescrit pas de médicaments, il y a une mise en lien, dans un rapport de complémentarité, avec d’autres lieux de soin du secteur – CMP (Centre médico-psychologique), CATTP, Centre de crise, clinique, etc. C’est un lieu de psychothérapie, c’est la relation qui est travaillée et la rencontre avec des personnes qui viennent de l’extérieur de l’hôpital : des associations de quartier, des intervenants (arts plastiques, lecture, danse), cela compte qu’il y ait quelques points d’extériorité, ça multiplie les formes de présences – après, on ne peut pas être sûr que le théâtre, la lecture, la danse guérissent…
Tu inscris ce travail d’atelier dans une filiation avec l’Éducation populaire, la Psychothérapie institutionnelle, le secteur, mais aujourd’hui le terme qui préside à l’activité artistique en milieu de soin est « art-thérapie ». Ton travail pourrait-il se ranger sous cette appellation ? Si ce n’est pas le cas, comment le situerais-tu à cet égard ? Sous quels aspects t’en sépares-tu ?
Je ne suis pas fascinée par la folie, par la maladie. Je n’entre pas là en me disant « oh on va découvrir des choses extraordinaires… » Il ne s’agit pas tant d’être comme on le dit aujourd’hui « en immersion » dans un service de soin que de donner sa chance au temps, de faire « un pari qui n’en finit pas d’être perdu et n’en finit pas d’être gagné »[4]. Rien n’est jamais acquis. On doit le plus souvent faire face à l’incertain, à l’impossible, et on ne sait pas à l’avance ce qui peut faire soin et/ou œuvre. C’est d’autant plus important d’être raccroché à une histoire, à du politique, à ce qui s’est tramé dans les lieux, ce qui se tisse dans une équipe : on va travailler avec des personnes malades et des soignants ensemble. En ce moment c’est catastrophique, il y a dans certains endroits un retour aux techniques de contention pour les malades, aux chambres d’isolement, et les soignants sont contraints par des modes de gestion managériales ; on leur demande d’évaluer en permanence leur propre travail, c’est très explosant – même aller acheter un timbre avec un patient devient un acte médical qu’ils doivent justifier dans les cases de leur feuille de soin journalière. Avec ça, comme dit Leïla, « qu’est-ce qu’il reste comme temps pour soigner ? » Les ateliers si ça peut donner un peu d’air, c’est bien, on arrive avec d’autres histoires. Quand on est intervenant, on n’est que de passage ; on essaie comme on peut de prendre la température : que s’est-il passé aujourd’hui, cette semaine ? L’atelier, c’est pour tout le monde, on lit ensemble, il faut porter notre attention sur ce qu’on lit et la façon dont on le fait ; ça compte de pouvoir dire à une soignante « tu lis un peu trop vite », « peut-être qu’il faut trouver plus de grave dans ta voix », plutôt que de se dire « bon elle, elle est soignée, mais lui par contre… »
Si on veut parler d’art-thérapie, on est obligé de dire que cela regroupe énormément de pratiques, parfois contradictoires, selon les lieux et les gens cela peut faire de grandes différences. Je ne suis pas spécialiste, je ne viens pas de ces formations mais d’une autre histoire. À propos, si on regarde l’étymologie du mot atelier, il désigne au XVIe siècle à la fois le lieu de travail des ouvriers, des artisans, et celui des artistes – petite chose amusante, les mots attelle et atelier ont la même origine, l’ancien français astelle, « petite planche, éclat de bois », et avec une attelle, on essaie de réduire une fracture… Ça peut aider à réfléchir. L’histoire des ateliers est liée à la pratique du quotidien, c’est-à-dire qu’après-guerre, on ne pouvait plus laisser les gens survivre dans des dortoirs et faire de la répression sur les malades – on peut imaginer le pire de l’asile, qui a été une réalité. Avec la constitution des réseaux d’Éducation populaire, la naissance des Ceméa, avec Travail et Culture pour la diffusion du théâtre[5], les premières formations d’infirmiers psychiatriques se sont développées et des liens se sont constitués avec des éducateurs, des pédagogues, des artistes[6]. Ce qui s’est inventé là, c’est que les pratiques s’échangeaient sur des questions de soin, d’éducation et de culture – c’est-à-dire que les gens se formaient à autre chose qu’à être des gardiens, de fous, d’enfants, etc. Et en psychiatrie, au cœur de ces pratiques se trouvait l’ergothérapie, qui n’est pas forcément l’ergothérapie d’aujourd’hui – au bout d’un moment les pratiques qui se spécialisent trop s’excluent les unes les autres et participent au morcellement de l’hôpital, c’est un peu pareil avec l’art-thérapie. François Tosquelles a écrit là-dessus[7]. La question de l’activité, du travail – la fabrication d’objets par exemple – prend une place particulière : un atelier où on fabrique des choses en commun ne sert pas qu’à occuper le temps et n’est pas un lieu d’exploitation. C’est là que ça commence à devenir intéressant et que chaque atelier a des singularités. Pour Tosquelles, l’activité en « atelier » se caractérise essentiellement par des temps de fabrication – artisanat, imprimerie, jardinage, culture agricole, petits travaux d’aménagement et pratiques artistiques –, et ne peut être envisagée dans le cadre de la thérapie que sous certaines conditions :
– que les ateliers ne soient pas conçus « comme occupation pour passer le temps ou pour se distraire en attendant ‹ la sortie › ou la ‹ guérison › » ; ni comme un lieu d’exploitation par le travail, d’« apprentissage d’habitudes » ou d’« adaptabilité sociale » forcés ;
– qu’ils soient pour le malade, une « activité propre : personnelle et personnalisante » ; que l’on y respecte ses initiatives et sa parole, le moindre mot ; que le malade puisse être « soignant de lui-même » ;
– qu’ils soient pris en charge par les soignants et malades de l’institution ensemble ;
– que l’on ait « du temps devant soi » ;
– qu’ils ne soient pas qu’un « exercice musculaire », qu’ils aient pour objet l’organisation sociale du travail et des échanges, et ne se constituent pas dans l’optique d’un résultat, d’une production ou d’un rendement ;
– qu’ils se tiennent dans une cohérence institutionnelle d’ensemble où leur mise en place et « l’observation des événements qui vont se manifester au cours du travail » puissent être soutenues par la psychothérapie et l’analyse collective ;
– que, le cas échéant, le produit de la vente soit partagé équitablement entre l’institution qui fournit le matériel et les patients eux-mêmes.[8]
Je trouve ça émouvant, Tosquelles écrit ce livre en 1967. Bon. L’histoire de la dramathérapie, branche de l’art-thérapie, vient également de l’institution psychiatrique, des pratiques d’abthérapie au XVIIIe siècle, du psychodrame de Jacob Levy Moreno dans les années trente et d’expériences qui mettent en jeu l’intérêt de soignants pour le théâtre. Il s’agit le plus souvent de mettre en scène dans une séance de thérapie des choses qui font symptôme, des souvenirs douloureux, et de chercher un mode d’expression à une souffrance ; c’est pris dans une visée thérapeutique très affirmée. Pourquoi pas ? Je n’ai jamais assisté à des séances de psychodrame, ça m’effraie un peu.
Il y a des courants d’art-thérapie qui frayent avec les pratiques de développement personnel, plus psychologisantes. Quand cela s’inscrit dans des lieux où sont pratiquées les TCC, les thérapies cognitives et comportementales, c’est parfois problématique, surtout s’il s’agit de prescrire des ateliers en fabriquant des catégories de patients à « rééduquer », avec des aberrations comme décréter qu’un psychotique n’a rien à faire dans un atelier danse ou que l’art-thérapie n’est pas recommandée aux schizophrènes – on atteint des summums d’absurdité et de violence.
Il y a des mouvements de dramathérapie qui revendiquent plus de liens avec des pratiques artistiques assumées comme telles, des processus cathartiques, des espaces pour accueillir de l’indicible – ce qui n’est pas idiot –, ou bien encore des projets de théâtre d’objets, de marionnettes que je trouve assez beaux parce que ce sont des métaphores du soin : quand tu travailles avec une marionnette, tu donnes vie à quelque chose, tu soignes le mouvement de quelque chose qui te prolonge. Il y a des lieux où c’est travaillé avec beaucoup de finesse, des espaces de construction, de reconstruction symbolique, où on peut laisser apparaître quelque chose qui est là parfois depuis longtemps, nos histoires, et aussi de la béance, du vide.
Il y a donc art-thérapeute et art-thérapeute… Il me semble qu’il y a des gens aujourd’hui qui sont obligés de passer le diplôme parce que sinon tu ne peux pas aller travailler dans un lieu de psychiatrie, ce sont des recommandations de statut. C’est un peu dommage, il n’y a pas tant de lieux que ça qui accueillent des intervenants extérieurs, le plus souvent ce sont des ateliers liés à l’activité d’un lieu culturel, des partenariats avec convention entre l’hôpital et un théâtre par exemple. Aujourd’hui tout ça s’appelle souvent « ateliers à médiation culturelle », et parfois on a l’impression que l’horizon est uniquement la « guérison ». C’est aussi le surmoi des soignants qui est en jeu, leur imaginaire du bien-être, du bonheur. Parfois c’est effrayant. Pourquoi appeler un atelier de théâtre ou d’art plastique une médiation culturelle ? Pourquoi ne dit-on pas qu’on lit ou qu’on bricole ensemble ? Ça a un sens aussi, tout n’est pas un prétexte ! Maintenant on dit équinothérapie, aquathérapie, ça devient un peu absurde de mettre de la thérapie partout alors qu’on veut juste aller à la piscine !
Jean Florence dit : « La guérison vient par surcroît, comme latéralement et sans qu’on ait à la vouloir. »[9] Dans l’atelier, je ne suis pas sans arrêt en train de me demander si la personne qui est à côté de moi, ou moi, on est en train de guérir ! Roger Gentis a une expression assez belle, il parle de « guérir la vie ». Comment s’y prend-on ? C’est une question pour nous tous.
Tu as parlé de ce que pouvait signifier « fabriquer un lieu », une des questions qui s’est forgée pour toi progressivement. « Qu’est-ce qu’un lieu ? » est « notre » question, la question de Revue Incise – elle a émergé en pensant précisément à des situations comme celles que tu mets en œuvre et qui sont au cœur de l’institution de la culture. Peut-on s’arrêter sur elle un instant ? Quand pour toi un atelier fait-il lieu ? Peut-être est-ce une opération qui ne se saisit que dans l’après-coup, et donc un autre pan de la question serait : de quoi disposes-tu pour créer les conditions qui permettent que quelque chose ait lieu ?
Il y aurait plusieurs manières de reprendre cela… J’ai l’impression que ce qui compte c’est le lieu d’où part la proposition, une institution culturelle, un hôpital, un groupe d’entraide mutuel, une association, un club, et que c’est important de s’approcher à travers l’atelier de ce qu’il y a tout autour. Bien sûr on ne va pas travailler n’importe où, on travaille dans un hôpital – il y a une précaution à avoir, c’est un travail avec l’équipe de soignants, avec les patients eux-mêmes, avec les savoirs des uns et des autres, surtout le savoir thérapeutique des patients eux-mêmes, c’est très important. On peut venir à un atelier en essayant d’enlever ses vêtements, symboliques je veux dire… sa blouse de soignant ou son costume d’acteur ; d’où vient-on, et dans quoi l’atelier s’inscrit-il ? Ça compte cette chose-là, comment considérer un ensemble plus vaste, travailler à cela, en tout cas en avoir conscience. On ne peut pas faire abstraction de ce qui se passe pour les gens à l’extérieur de l’atelier, et si des formes s’écrivent et se représentent, elles proposent un étirement de la trame sociale.
Et puis quels sont les bords de l’atelier ? À l’hôpital de jour par exemple, l’atelier de lecture a lieu maintenant dans la salle commune parce que c’est un lieu traversé par tout le monde. L’appartenance à un atelier se fait de plus ou moins près : être assis à la table ensemble, lire, ou bien se trouver un peu plus loin mais ne pas en perdre une miette, c’est aussi ça le lieu de l’atelier. Et que choisit-on comme texte ? C’est tout un travail. Est-ce que le lieu ce n’est pas aussi le texte ? La façon dont on s’en empare ensemble ? Qu’est-ce qui parle et nous parle dedans ? Comment le dire, comment le lire, dans ses sonorités, dans ses rythmes ? J’ai rencontré là parmi les plus grands lecteurs de Kurt Schwitters que je connaisse ! C’est aussi autour de cela qu’on se rassemble. Ça fait lieu… C’est déjà pas mal. Une autre petite chose est frappante : chaque année, on fait une lecture publique à l’hôpital de jour, on a des invités, on lit et après on mange des bons gâteaux ; maintenant, on tente de faire une ou plusieurs lectures aussi à l’extérieur. Depuis deux ans, on fait des lectures publiques à la bibliothèque municipale de Bondy. Cet après-midi-là, l’hôpital de jour est fermé, il y a un petit mot sur la porte : « On est à la bibliothèque, rejoignez-nous. » Tous les gens de l’hôpital – et c’est là qu’est le collectif – viennent à la bibliothèque et l’hôpital est fermé ! C’est ça un lieu : il se déplace – tout à coup l’hôpital est en creux, suspendu, déplacé, à la bibliothèque.
On pourrait se demander : à quoi ça tient ? Les ateliers sont par essence précaires. Ils sont d’abord assez systématiquement dans le collimateur de coupes budgétaires, puisque leurs « bénéfices » sont difficilement quantifiables, tout au moins sous forme de bilan ou de comptes : on est parfois quinze, parfois trois, difficile de nous évaluer statistiquement et de savoir si on guérit… Tout cela est peu rentable il faut bien le dire puisqu’on n’a rien à vendre et qu’on ne cherche pas à réinsérer les gens, mais représente pourtant une vitrine culturelle bien commode pour l’image d’un lieu de soin. Le financement des ateliers reste suspendu à la volonté d’une administration qui se tient la plupart du temps très éloignée du concret des fabriques qu’elle « soutient ». Il faut à chaque début d’année déposer une demande de budget qui assure, dans le meilleur des cas, la possibilité d’une présence régulière, sinon, quelques heures d’atelier orphelines. Et disons que cet état des choses n’est pas inhérent au seul domaine de la psychiatrie… Mais la précarité d’un atelier est aussi d’une autre nature, elle, constitutive. La place qui peut être accordée à l’incertain, à l’aléatoire des présences, aux voix les plus ténues et plus généralement au dessaisissement, au lacunaire, est autant d’espace laissé vacant, ouvert à de la construction, à des mises en formes, plutôt qu’un vide à remplir. C’est cela qui est sans arrêt menacé. Pas uniquement pour des raisons extérieures, cela demande un effort énorme.
Puisque la visée n’est pas strictement ou explicitement thérapeutique et que la question que tu poses est la fabrique d’un lieu, on voit bien comment ça peut être tout à fait congruent avec ce que tu viens de décrire, c’est-à-dire une politique de la culture comme lien social – « fabriquer du lien » –, et effectivement dans un cahier des charges assez sec où le rapport aux gens est un peu instrumental. Après l’art-thérapie, l’autre grand syntagme qui laisse planer son ombre sur la question des ateliers de pratique artistique, comme dit plus haut, c’est le « socio-culturel ». À côté du « thérapeutique » il y a le « culturel ». Le fantasme ici n’est pas de soigner individuellement par l’art mais de fabriquer de la société. À la fin du XIXe siècle, au moment où s’élaborent les premiers programmes de théâtre populaire, d’aucuns pensent que le théâtre qui s’adresse au « peuple » doit avoir une action de morale publique. Dans cette perspective, on imagine qu’il devrait, à l’égard notamment des jeunes hommes et contre la mauvaise influence du café-concert, faire la jonction entre l’école et la caserne, dans leur dimension conjointe de contrôle du temps et de discipline des corps et des pensées. Cela a l’air différent mais ces temps-ci ressurgit le projet chez certains politiques de redonner de l’importance au service militaire comme lieu d’intégration, essentiellement à l’égard de ceux que l’on nomme « jeunes de banlieue ». On voit bien l’homogénéité de ces conceptions des « lieux », qu’ils soient culturels ou autres : contrôler la jeunesse, fabriquer ladite intégration, tenir les hommes. Comment parviens-tu à te soustraire à cette attente ? Comment penses-tu tes ateliers – ou comment pensez-vous vos occupations à Encore heureux… par exemple – au regard de l’exigence dans laquelle sont les structures aujourd’hui de produire ce qu’on nomme de manière bien étrange le « lien social » ?
On peut peut-être échapper aux politiques de ségrégation et envisager autre chose que la caserne, l’asile ou l’adaptation par le travail. Cela nécessite de mettre en place des outils critiques collectifs pour analyser les prescriptions massives et les politiques de sélection qui nous sont imposées à tour de bras. Tu parles du collectif Encore heureux… (Encore heureux trois petits points) : c’est une initiative née en 2012 au Mans dans un lieu de théâtre, la Fonderie, qui regroupe intervenants, éducateurs, précaires, psychologues, infirmiers, intermittents, patients et impatients autour de questions et de pratiques communes. L’hospitalité du lieu permet d’organiser tous les ans des assemblées, des ateliers (de musique, de lecture, de cinéma, de théâtre, de construction…), et le séjour d’équipes venues d’ici et ailleurs ; des enfants, des jeunes, des hommes et des femmes construisent ensemble le « chemin de faire » de cette initiative et cet atelier général est devenu le lieu d’un bricolage de rencontres et de partages autour des fabriques en ateliers. Le collectif porte une attention particulière au fait que les gestes quotidiens des habitants – même passagers – de cette Fonderie (la fabrication des repas, l’organisation de la journée, l’accueil des nouveaux arrivants, etc.) puissent offrir un ancrage commun, des circonstances pour la rencontre, de l’inattendu, du fortuit. En dérogeant un temps à son assignation de « lieu culturel », la Fonderie ouvre un temps qui n’est pas celui d’un festival ou d’une programmation. Il est vital que les équipes puissent sortir des institutions de soin et être accueillies avec le plus grand sérieux, de même qu’il est nécessaire que les institutions culturelles se positionnent sur le terrain social et politique. Si le travail collectif est vivant, les questions d’art, de soin, d’éducation, etc., ont une petite chance de se décloisonner.
Avec l’équipe de l’atelier lecture de Bondy, on a participé aux rencontres Encore heureux… chaque année. C’est une manière de prendre le large, de jeter un œil curieux alentour et cela participe de notre façon d’envisager les choses. À l’hôpital de jour, on a fait le choix d’arrimer nos lectures publiques à des événements nationaux, du type Printemps des poètes, ou Lire en fête qui n’existe plus. Lise Maurer trouvait plus important de participer à quelque chose lorsqu’on sait qu’il y a des enfants dans une école, des usagers d’une bibliothèque qui lisent aussi dans des lieux de la ville, que de participer à des événements strictement liés au handicap. Ça ne s’inscrit pas symboliquement de la même manière. Les patients n’arrivent pas toujours à lire seuls, la maladie et les traitements provoquent des troubles importants de la concentration – ils commencent une page et ont besoin de la relire quinze fois parce qu’ils ont l’impression de ne pas avoir compris, c’est très fatigant –, et il y a aussi des personnes pour lesquelles ce n’est pas du tout une évidence de prendre un livre, ou de pousser la porte d’un théâtre ou d’un hôpital, et qui restent à la rue. Quand c’est dur socialement, familialement, il y a des cassures. La lecture est toujours aux prises avec des réalités sociales ; peut-être que le fait de lire ensemble est un soutien, ça permet de se relayer, de faire circuler des livres, c’est une économie de gestes qui a à voir avec quelque chose d’assez pauvre en fait. On essaie de ne pas extrapoler à partir d’une pensée en surplomb qui voudrait que la culture se diffuse sur nous tous comme un bienfait !
Cette pauvreté dont tu parles se situe aussi au niveau de la pratique de la lecture : à la différence de l’écriture ou du jeu, de la production ou de la mémorisation, qui ont une aura héroïque, c’est l’activité la plus modeste.
Un peu à tâtons, on essaie, sans aplanir les angles et sans fabriquer de consensus, de voir ce qu’on peut lire ensemble avec une espèce d’évidence, et il y a parfois certaines crispations sur les textes. On essaie de fabriquer notre petite histoire de la littérature, les motifs d’un répertoire qui va de l’Odyssée à la poésie sonore, en passant par l’Oberiou, le théâtre épique, un roman de Vittorini ou les poèmes-médecine des Indiens d’Amérique du Nord. On peut faire des rapprochements, associer à partir d’événements historiques, à partir du contexte de l’écriture – si l’on en sait quelque chose –, c’est l’occasion de faire voisiner l’Histoire et les histoires, mais aussi les paroles en l’air, les jeux de mots, les désaccords et la poésie. On ne sait jamais à l’avance quels échos les textes vont rencontrer parmi les lecteurs, il se produit parfois des rencontres surprenantes qu’on ne peut pas toujours expliquer : l’un est intéressé par la musicalité et le rythme, un autre par un jeu d’identification, une autre pense que ce texte-là résume bien la situation du moment et qu’il faut le crier haut et fort… Le sens, c’est déjà un lieu où se tenir mais cela ne sert pas toujours de vouloir comprendre, il y a des obscurités qui résistent. Il se pourrait qu’interpréter des textes ne consiste pas à vouloir y imprimer une marque mais à laisser les textes réveiller leurs propres marques, et pour cela il faut se déprendre petit à petit de la musique et du souvenir des lectures scolaires. En portant toute notre attention sur la scansion, c’est-à-dire la respiration, le rythme, les timbres de la voix, on peut percevoir les variations, les changements de registres de parole, les suspensions. Nous sommes des récitants, cela veut dire qu’il nous faut tout lire, les paroles et les silences, faire place à ce qui arrive entre le silence et la parole. Quelque chose se passe qui pourrait être un théâtre, à distance de nous et quand même avec nous dedans, présents, attentifs. Parfois, la lecture à haute voix d’une pièce de théâtre est plus intéressante qu’une pièce montée, j’en suis vraiment persuadée. Parce que je l’ai vu. Ça laisse de la place à ceux qui écoutent et je dois dire que ça m’intéresse parfois beaucoup plus que de faire du théâtre… Avec les voix des lecteurs, c’est de la navigation, nous sommes passagers sur de frêles embarcations, il faut pouvoir donner le coup de main nécessaire, déplier ou replier la voilure, soutenir le barreur, agir en bons seconds. À chacun son art de lire – même ne sachant pas lire –, il faut pouvoir être là pour savoir également se retirer. Les lecteurs font entendre leurs voix, elles se succèdent dans ce cercle de lecture où pourrait naître une parole commune.
Entretien effectué le mardi 3 avril 2018 à Bagnolet par Delphine Lavergne et Diane Scott.
[1] Les réseaux d’Éducation populaire, qui avaient une action majeure sur le territoire, ne se sont pas rattachés au ministère des Affaires Culturelles lorsqu’il a été créé en 1959, et sont restés sous la tutelle de la Jeunesse et des Sports, où ils se sont quelque peu dévitalisés. Quelque chose s’est défait, et même si ces actions de territoire ont été revitalisées par la suite dans certains lieux culturels, ce n’est pas partout et surtout pas toujours avec l’esprit d’échanges de savoirs que l’on trouvait visiblement dans les réseaux.
[2] Centre d’accueil thérapeutique à temps partiel.
[3] Jean Oury, psychiatre, est le fondateur avec Félix Guattari de la clinique de La Borde, dans le Loir-et-Cher. Il a tenu ce séminaire, ouvert à un public de spécialistes et de non-spécialistes, jusqu’à sa mort en 2014.
[4] Fernand Deligny, « Les Neumes », Vie sociale et traitements, n°78, 2003.
[5] Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active. Les Cémea, fondés en 1943 sous la forme d’un vaste réseau, s’engagèrent dans la diffusion des savoirs par l’organisation de stages, conférences, la diffusion de films et de spectacles, des publications en direction des secteurs de l’éducation, de la culture, de la santé mentale ou de la jeunesse.
L’association Travail et Culture, fondée en 1944, regroupa des hommes de théâtre mais également des militants et des éducateurs. Sa vocation était de « créer un bureau permanent d’études et de coordination de tous efforts d’éducation et de culture populaire à l’intention de tous organismes intéressés et de préparer les étudiants et élèves des écoles d’art à leur rôle d’animateurs culturels dans les organismes de culture populaire. »
[6] À noter que la prescription de médicaments neuroleptiques à partir de 1953 apportera de profonds changements dans la vie quotidienne de l’hôpital, ainsi qu’un flot d’interrogations.
[7] François Tosquelles, Le Travail thérapeutique en psychiatrie, Éditions du Scarabée, 1967. Tosquelles était psychiatre. Poumiste, exilé politique pendant la guerre d’Espagne, il avait trouvé refuge à l’hôpital de Saint-Alban. Son influence a été majeure dans le mouvement désaliéniste. Dans ce livre il cite José Solanès, un de ses confrères qui conseille de prendre garde à ne pas créer « un service nouveau, dit d’ergothérapie, dans un hôpital, comme celui qui coud un bouton de plus sur un gilet. L’ergothérapie, ajoutait-il, constitue le tissu lui-même de l’institution. »
[8] Ce retour sur le texte de Tosquelles fait partie d’une recherche plus vaste sur la question des ateliers menée par Stéphanie Béghain : Chasser l’hiver, mémoire de Master2, Paris 3 – Sorbonne Nouvelle, 2016.
[9] Jean Florence, Art et Thérapie : liaison dangereuse ?, Facultés universitaires Saint-Louis, 1997-2009.
Jean Florence fait ici probablement référence à la formule de Jacques Lacan de 1955 dans « Variantes de la cure-type » : « Si [le psychanalyste] admet donc la guérison comme bénéfice de surcroît, il se garde de tout abus du désir de guérir (…) », formule qui elle-même réfère à deux articles de Freud parus en 1923, désormais « ‹ Psychanalyse › et ‹ Théorie de la libido › » : « L’élimination des symptômes de souffrance n’est pas recherchée comme but particulier, mais elle se produit, l’analyse étant effectuée conformément à la règle, en quelque sorte comme gain marginal. » (note de la rédaction).